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Chronique d'une mort annoncée :
une explosion d'étoile précédée d'un flash lumineux


Une équipe d'astrophysiciens européens à laquelle ont participé des laboratoires du CNRS (INSU) et du CEA (Dapnia/SAp) [1] vient de découvrir, en collaboration avec des collègues japonais et chinois, une des plus étranges explosions d'étoiles jamais observées Cette explosion est survenue le 9 octobre 2006 dans une galaxie lointaine située à plus de 80 millions d'années-lumière et a été suivie pendant plus de soixante jours par huit télescopes différents en Europe, Chine et Japon. Les observations ont montré que l'astre qui s'est désintégré était une étoile massive, de 15 à 25 fois la masse du Soleil, sans doute constituée uniquement de carbone et d'oxygène. Ce cataclysme rare a été précédé tout juste deux ans auparavant par un bref flash lumineux. Ce signal avant-coureur, dont la signification vient seulement d'être comprise, permettrait aux astronomes, s'il s'avère être une règle générale,  de repérer les étoiles se trouvant aux tous derniers instants de leur existence et peut-être même de "prédire" les explosions.

Ces résultats sont publiés dans la revue Nature du 14 juin 2007.

Mort d'une étoile en direct
La découverte a été le fruit d'une étroite collaboration entre astronomes professionnels et amateurs. Tout a commencé le 14 octobre 2004 quand l'astronome amateur japonais Koichi Itagaki, grâce à un petit télescope de 60 cm de diamètre, détecta un objet dans la galaxie UGC4904 (dans la constellation du Lynx) dont la brillance avait considérablement augmenté. Au début, il crut assister à l'explosion d'une "supernova", phénomène lumineux qui accompagne l'effondrement d'une étoile en fin de vie ; mais au lieu de s'amplifier rapidement puis de décroitre lentement comme le font les Supernovae, l'objet disparut à nouveau au bout de quelques jours seulement. L'événement fut donc catalogué comme un flash lumineux transitoire, phénomène parfois observé pour des étoiles massives très bleues ou LBV (pour Luminous Blue Variables).

Givre SN2006 SN2006jc

Photographie de la galaxie UGC4904 à trois époques différentes. En octobre 2004, un objet lumineux fait son apparition dans la partie extérieure à peine visible de la galaxie durant quelques jours puis disparait. En septembre 2006, il est toujours absent. Le 9 octobre 2006, il devient aussi lumineux que le centre de la galaxie, émettant plus de lumière qu'un milliards d'étoiles. La supernova, baptisée SN2006jc, atteindra une magnitude apparente maximale de 14 avant de lentement décroitre. Sur l'image du 29 octobre, elle est encore de 15.65. Il s'agit d'un cas unique d'une explosion d'étoile précédée par un flash lumineux deux ans auparavant.
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Deux ans après, le 9 octobre 2006, à exactement 18h03 Temps Universel, l'astronome japonais signale au même endroit une nouvelle apparition mais cette fois-ci l'objet est plusieurs dizaines de fois plus lumineux. Un consortium européen travaillant sur les Supernovae est alors averti et une batterie de télescopes [2] est mobilisée, dans un effort collectif dirigé par Andrea Pastorello du Centre d'Astrophysique de l'université de Belfast (UK).
Les premières observations, obtenues à l'Observatoire de La Palma (Espagne), révèlent une explosion particulière. En effet dans le spectre (la répartition de la lumière en fonction de la longueur d'onde) de l'objet, il n'y a aucune trace d'hydrogène ou d'hélium, les éléments les plus abondants dans les enveloppes des étoiles. Il faut donc suivre l'évolution de cet objet au plus près. Le télescope de 193cm de l'Observatoire de Haute-Provence (celui-là même qui avait découvert la première planète extra-solaire en 1995) entre en branle, sous l'impulsion de Michel Dennefeld (IAP-CNRS) qui coordonne la partie française de la collaboration. Les télescopes ne sont évidemment pas inactifs, étant attribués de longs mois à l'avance à divers observateurs pour des programmes très variés : on applique donc la procédure habituelle en cas d'urgence, et l'observateur présent au télescope pour un tout autre programme est sollicité pour collaborer. C'est ainsi que Jean-Marc Bonnet-Bidaud (CEA-Saclay) est amené à prendre son premier spectre de Supernova et s'enthousiasme pour ses particularités. Les observations se poursuivent, nuit après nuit, la panoplie de télescopes mobilisés permettant de surmonter les inévitables aléas de la météo. Et oh surprise, au bout d'une dizaine de jours, apparaissent enfin les premières traces d'hélium dans le spectre de la Supernova !

Un cœur massif...
Des observations sur près de trois mois vont permettre de comprendre ces particularités. La supernova baptisée SN2006jc (d'après son numéro d'ordre de découverte dans l'année [3]), a atteint une luminosité maximale caractéristique des plus fortes explosions d'étoiles, plus d'un milliard de fois celle du Soleil. Les astronomes avaient l'habitude de classer ces explosions en deux grandes catégories : les supernovae de type I ou de type II, correspondant à deux types d'observations (et de phénomènes) totalement différents. Les types I, caractérisées par de fortes raies de silicium et pas d'hydrogène dans le spectre de l'explosion, signalent la désintégration d'une petite étoile compacte, une naine blanche, rendue instable par une accumulation de matière venant d'un compagnon. Les types II, où l'hydrogène et l'hélium dominent, marquent au contraire l'explosion d'une étoile massive. SN2006jc ne correspond à aucune de ces catégories : elle a été cataloguée dans une catégorie intermédiaire, les Ib/Ic.

Spectre_SN2006jc

L'évolution du spectre de la supernova SN2006jc. L'échelle à droite indique la date après l'explosion (en jours). La répartition de la lumière en fonction de la longueur d'onde (ici en angströms) montre l'absence totale d'hydrogène. Seules quelques raies "étroites" d'hélium apparaissent au bout d'une dizaine de jours. Toutes les autres raies identifiées sont celles d'éléments chimiques "évolués" (oxygène, magnésium, ...), provenant du cœur de l'étoile. Le spectre du bas donne l'identification de quelques raies et les raies étroites de l'hélium sont indiquées par des points rouges.
 

Ces cas très rares ont été découverts très récemment : leur rareté est sans doute due à la masse élevée de l'étoile, probablement une étoile de 60 à 100 masses solaires qui a perdu une grande quantité de masse auparavant. Le spectre observé est alors dominé par les éléments qui se trouvent dans son cœur, typiquement un cœur de carbone et d'oxygène de 15 à 25 masses solaires.
Si l'étoile n'a perdu que son enveloppe d'hydrogène au cours de sa vie, on observera encore des raies d'hélium dans le spectre de l'explosion : la SN est classée Ib. Mais si elle a perdu et son enveloppe d'hydrogène, et son enveloppe d'hélium (ce qui est d'ailleurs la caractéristique des étoiles de Wolf-Rayet !), elle sera classée Ic. A noter que si la classification est ici purement observationnelle (la catégorie I signifiant simplement l'absence d'hydrogène dans le spectre), du point de vue de la physique des objets, les types Ib/Ic sont de même nature que les type II ; les supernovae de type I "originales" sont maintenant appelées Ia, pour bien faire la distinction entre les phénomènes.
Mais alors, d'où vient l'hélium observé au bout d'une dizaine de jours ? Une observation cruciale donne ici la réponse : lorsque l'hélium est observé dans les spectres de Supernovae, on constate en général de très grandes vitesses d'éjection (quelques dizaines de milliers de kilomètres par seconde), et les raies sont alors larges. Or, ici, les raies d'hélium observées sont étroites ! L'explication est alors limpide : on sait que les enveloppes d'étoiles sont éjectées à faible vitesse lorsque ce phénomène apparait au cours de leur vie, et elles s'éloignent donc lentement de leur étoile... Ici, l'onde de choc de l'explosion a "rattrapé" au bout de quelques jours l'enveloppe éjectée précédemment et l'a "illuminée", donnant l'illusion d'un type Ib... Mais il est clair qu'il s'agit bien de l'explosion d'une étoile massive, et l'on voit l'importance de l'observation suivie de ces objets pour une bonne compréhension des mécanismes d'évolution et d'explosion finale.

Signal d'alarme
Reste encore à comprendre le signal d'alarme envoyé deux ans auparavant. Un peu comme pour les tremblements de terre, les scientifiques connaissent très peu d'événements avant-coureurs capables de leur indiquer l'imminence d'une explosion d'étoile. Depuis quelques années, on a découvert que certaines étoiles massives émettaient une brève et puissante impulsion de rayons gamma, les célèbres "sursauts gamma" mais ce très bref éclair intervient au début même de l'explosion, laissant trop peu de temps aux astronomes pour se préparer.
Dans le cas de SN2006jc, la première augmentation lumineuse est intervenue deux ans plus tôt et semble identique à ce qui est observé autour des LBV (Luminous Blue Variables), ces étoiles bleues très massives, mais qui possèdent encore toute leur enveloppe d'hydrogène et d'hélium. A-t-on assisté alors à un dernier épisode de perte de masse qui a brutalement dépouillé une LBV de son enveloppe ? Aucune théorie d'évolution ne semble l'autoriser en un temps si court. Il pourrait s'agir également d'une convulsion du cœur même de l'étoile, un phénomène jamais observé auparavant. Les chercheurs considèrent une autre alternative possible: l'étoile pourrait être un couple, l'une aurait explosé tandis que la seconde serait une LBV responsable du flash. Pour l'instant, ils espèrent pouvoir bientôt utiliser le télescope spatial Hubble pour rechercher cette deuxième étoile qui aurait alors survécu.
Ces observations ont mis en lumière l'efficacité de la collaboration entre amateurs et professionnels et l'importance des télescopes de petite et moyenne dimensions, plus facilement disponibles et qui peuvent être mobilisés rapidement et pendant des périodes continues. Ils pourraient en particulier servir à surveiller les candidats à la mort violente...

La supernova SN2006jc ouvre en effet des horizons nouveaux pour prédire les explosions d'étoiles massives. Jusqu'ici, il était impossible de déterminer l'imminence d'une explosion, mais si le scénario décrit ci-dessus se confirme, les flashs précurseurs seraient un signal précieux. Reste encore à savoir si plusieurs convulsions (et flashs) ont lieu avant l'explosion finale, ou si un seul événement précède l'issue fatale. Une des LBV proches est l'étoile Eta-Carina qui est célèbre pour son augmentation de luminosité à la fin du 19e siècle : l'événement de 1843 en a fait la deuxième étoile la plus brillante du ciel d'alors ! Aujourd'hui elle est redevenue invisible à l'œil nu. Un prochain sursaut lumineux pourrait annoncer son explosion imminente et définitive.

eta_Carina
L'étoile Eta-Carina, photographiée ici par le Télescope Spatial Hubble pourrait être un exemple proche similaire à SN2006jc. Située à environ 8 000 années-lumière, l'étoile est très massive, sans doute plus de 100 fois la masse du Soleil, peut être double et sans doute très proche d'une explosion imminente.
Crédits NASA/Hubble

Michel Dennefeld et Jean-Marc Bonnet-Bidaud

Publication :

"A giant outburst two years before the core-collapse of a massive star"
A. Pastorello, S. J. Smartt, S. Mattila, J. J. Eldridge, D. Young, K. Itagaki, H. Yamaoka, H. Navasardyan, S. Valenti, F. Patat, I. Agnoletto, T. Augusteijn, S. Benetti, E. Cappellaro, T. Boles, J.-M. Bonnet-Bidaud, M.T. Botticella, F. Bufano, C. Cao, J. Deng, M. Dennefeld, N. Elias-Rosa, A. Harutyunyan, F. P. Keenan, T. Iijima, V. Lorenzi, P. A. Mazzali, X. Meng, S. Nakano, T.B. Nielsen, J. V. Smoker, V. Stanishev, M. Turatto, D. Xu, L. Zampieri

Publié dans la revue Nature du 14 juin2007, pour une version électronique, voir astro-ph/0703663.

Voir les communiqués de presse du CNRS et du CEA (13 juin 2007).


Notes :

[1] Collaboration française
Institut d'Astrophysique de Paris (CNRS/UMR7095), 
Observatoire de Haute-Provence (CNRS/USR2207).
Service d'Astrophysique du CEA/Dapnia (CNRS/UMR 7158),

[2] Observations : Les observations ont été obtenues à l'Observatoire de Haute-Provence (Télescope 1.93m, CNRS, France), l'Observatoire d'Asiago (Telescope Copernic 1,82m, Italie), l'Observatoire Astronomique National de Chine (Télescope 2.16m, BAO, Xinlong Observatory, Chine) et l'Observatoire de La Palma (Telescopio Nationale Galileo 3.58m, Nordic Optical Telescope 2.56m, Liverpool Telescope 2.0m et William Herchell Telescope 4.2m, Canaries, Espagne).

[3] Supernova. Plusieurs centaines de supernovae sont découvertes chaque année. Le nom de la supernova correspond à l'année de sa découverte suivie de lettres indiquant son rang dans l'année. "SN2007a" est la première supernova découverte en 2007 et "SN2007aa" la 27e. SN2006jc est donc la 263e supernova découverte en 2006.

 

13 juin 2007