Texte rédigé par Daniel Kunth, à la demande de Catherine Cesarsky
(présidente de l'UAI) et qui sera posté sur le
site de l'IYA 09 (AMA09).
Résumé
L’astrologie a su s’adapter à toutes les mutations de la société et
continue à jouir d’un préjugé favorable auprès d’un large public.
Son succès, amplement relayé par les médias, surprend dans une
société où la science occupe une large place. Ses fondements qui
reposent sur la croyance en des correspondances entre le macrocosme
(l’univers dans son ensemble) et le microcosme (celui qui nous
concerne directement) suscitent l’adhésion. Les astrologues sont
censés décrypter les mouvements et positions des astres afin d’aider
chacun à organiser son destin. Ils utilisent un langage symbolique,
vaste polysémie, qui produit des descriptions et prédictions
suffisamment vagues pour ne pas être démenties. Pour autant
l’astrologie n’est en aucun cas une science. Sa technique, parfois
sophistiquée n’emprunte ni à une science ni même à sa méthodologie.
Elle élude la confrontation entre ses hypothèses et la réalité
contrairement à toute démarche scientifique digne de ce nom. Le ciel
est pour elle un miroir qui nous renvoie à nous-mêmes sans que les
astres n’y soient pour grand chose. Les astronomes s’élèvent contre
ces prétendues influences astrales sur le destin des individus et la
méconnaissance par les astrologues de la réalité physique de
l’univers et de sa richesse. Par ailleurs, aucune étude statistique
sérieuse n’a pu établir la performance prévisionnelle de
l’astrologie, bien au contraire. La plupart des adeptes de
l’astrologie se tournent vers une lecture psychologique de leur
personnalité dont les astres détiendraient la clé dès la naissance.
L’attente croyante qui résulte de cette vision déterministe
représente une aliénation psychologique réelle facilement exploitée
commercialement.
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Connaître à l'avance les lendemains qui chantent ou les épreuves à
venir, met au défi la volonté humaine depuis des millénaires. Pour y
répondre, l’astrologie propose un rituel auquel nombre de nos
contemporains adhèrent quelles que soient leur appartenance sociale
et leur culture. Au désordre sur Terre, elle répond qu'un ordre
immanent existe dans le firmament et propose une structuration du
ciel qui reproduit la saga de la vie humaine et, réciproquement, la
projette dans le ballet céleste. Mais il ne s’agit aucunement d’une
science du ciel, car ni les outils de l’astrologie ni ses
préoccupations, qui relèvent d’un mode subjectif, ne permettent à
l’astrologue d’en dire un mot. Est-ce pour autant une science de
l’homme ? voire un mode de connaissance en concurrence avec la
cosmologie scientifique ?
Certains astrologues consternés par leur relégation aux marges de la
science officielle, souhaitent une reconnaissance académique
autorisant notamment le financement public des recherches
astrologiques et qui renforcerait le crédit de l’astrologie auprès
de son audience. Le recours aux ordinateurs, aux données
statistiques et aux éphémérides de grande précision suggère à tort
une scientificité accrue de la pratique astrologique. En face, une
écrasante majorité de scientifiques rejette totalement sa pertinence
scientifique et reste critique quant à son influence sociale ou son
exploitation commerciale.
L’astrologie fait l'objet d'une explosion médiatique accompagnée
d'une commercialisation intensive et lucrative qui tire parti des
supports traditionnels et des médias électroniques. L’astrologie de
presse est particulièrement développée: aujourd'hui, du tabloïd à
l'hebdomadaire de nombreux journaux proposent une rubrique
astrologique. Si d’aucuns lisent le thème du jour comme s'il
s'agissait d'une fiction, d'autres traquent l'indice qui les aidera
à gérer leur vie professionnelle, leurs amours ou à organiser leurs
vacances. Si tant d'argent est dévolu à l'astrologie, c'est que
persiste un besoin essentiel qui fonde son succès et que ni la
science, ni la psychologie, ni les religions ne prennent en
considération.
Le symbolisme de l’astrologie et quelques principes
Une des grandes forces de persuasion de l’astrologie réside dans sa
perception symbolique du monde. Cette symbolique découle, peu ou
prou, des observations réalisées depuis l’Antiquité portant sur
l’éclat, la couleur, les caprices du mouvement apparent d’un astre,
sa vitesse de déplacement, son isolement dans le ciel ou sa
proximité du Soleil. Notons que ces symboles n’ont pas de valeur
universelle, chaque culture élaborant les siens.
La plupart des gens connaissent leur signe solaire : être du
signe du Cancer signifie qu’à la naissance du natif le Soleil se
trouvait (en projection sur le ciel) dans la case correspondant au
signe du Cancer. Ce signe solaire rattache chacun d’entre nous à un
ensemble communautaire très vaste. Le cas échéant, le signe solaire
est contredit ou nuancé par d’autres éléments personnalisés du
thème, tels le signe ascendant qui se lève à l’est au moment précis
de la naissance et bien sûr la position des principales planètes
dans le thème.
Les astrologues s’intéressent également aux transits planétaires
qui sont les passages apparents des planètes sur certains points
remarquables du thème de naissance et les considèrent comme des
déclencheurs d’événements ou de décisions (mariages, divorces,
naissances...) contenus sous forme de promesses lors de la
naissance. Les transits occupent une place de choix puisqu’il est
évidemment possible de prédire par le calcul les principaux transits
d’une vie. Les horoscopes de presse font largement usage de cette
technique permettant de déterminer les angles apparents des planètes
avec un signe (les natifs de la Vierge peuvent souffrir de ce que
Mars soit, à une époque donnée, éloignée de leur signe de naissance,
etc.).
Un bref retour en arrière
Pendant longtemps, astronomie et astrologie connurent une véritable
complicité.
Les observations mille fois répétées permirent de prédire certains
événements célestes et, par voie de conséquence, terrestres (les
calendriers égyptiens étaient indubitablement liés à la vie propre
du Nil). Partant de la corrélation entre événements célestes et
terrestres, il fut imaginé un contrôle des seconds par les premiers.
Les planètes ou “ astres errants ”, furent perçus comme les
représentants des dieux supérieurs et en devinrent les interprètes.
Les Grecs, puis les Latins, furent convaincus de la nature
divinatoire de cette l’astrologie chaldéenne. Dans la Grèce antique,
régularité et perfection des événements célestes présidèrent à la
naissance d’un mysticisme mathématique, singulier mariage entre
mathématique et divination dont l’astrologie occidentale a tiré
cette grande force de persuasion qui lui a permis de perdurer
jusqu’à nos jours. L’astrologie moderne se débarrassa des dieux pour
ne conserver que leur pouvoir.
Avec l’évolution des connaissances et des outils, l’écart se creusa
entre les prémisses de l’astrologie et celles de la science. Les
astronomes renoncèrent aux principes non démontrés d’influence et de
correspondance entre configurations planétaires et événements
terrestres qui devinrent sources de divergence et finalement de
rupture entre l’astronomie et l’astrologie. L’astronomie se proposa
de décrire le monde, en nous posant comme observateur et se
positionnant contre tout principe d’autorité.
Les astrologues, furent confrontés à des chamboulements qu’ils
n’avaient pas prévus : la Terre n’étant plus au centre du système,
la séparation entre mondes sublunaire et supralunaire ne se
justifiait plus, et les distances éclatèrent. Ainsi que l’écrit le
philosophe Alexandre Koyré, le monde clos se transformait en un
univers infini.
Astrologie face à la science:
Un ciel pour deux dérange. De nombreux astrologues se qualifiant de
scientifiques postulent l’existence d’influences réelles des astres
sur les individus et tentent de démontrer leur réalité par des
études statistiques.
En empruntant à l’astronomie ses méthodes de calcul (les éphémérides
des astrologues sont des tables gracieusement mises à disposition du
public par les astronomes), cette astrologie récupère une sorte de
légitimation scientifique qui participe à sa pérennité. La confusion
des genres et les questions du public sont relayées par des débats
médiatiques où astronomes et astrologues s’affrontent. Les arguments
les plus négatifs des astronomes à l’égard de l’astrologie portent
sur sa méconnaissance de la réalité physique de l’univers et de sa
richesse. À quoi sert le ciel de l’astrologue, si les astres ne sont
pas pris en compte pour eux-mêmes – bref, si le ciel est sans objet?
Par essence, le langage symbolique de l’astrologie possède des
limites qui la tiennent à distance des réalités du monde physique.
Prenons l’exemple de la planète Mars : pour l’astrologue, la couleur
rouge évoque le sang qui coule, donc la guerre et, avec elle, la
mort ; pour le scientifique, la couleur rouge peut avoir de
multiples raisons causales ; seule l’expérience décide. Les
premières missions spatiales vers Mars, attestèrent la présence de
fer à la surface de cette planète : la couleur rouge est due à
l’oxydation du fer. Or cette oxydation requiert la présence
d’oxygène, notamment sous forme d’eau. L’eau étant synonyme de vie
sur Terre, se pose la question de l’existence de la vie sur Mars. La
vie a-t-elle existé dans le passé? Ces hypothèses ne pourront être
tranchées que lors de prochaines missions exploratoires sur la
planète rouge. Mars-rouge-guerre-sang et mort, chaîne symbolique qui
fonctionne sur l’analogie fait place à Mars-rouge-fer-eau et vie,
qui relève de stricts liens de causalité.
Que Mars, simple caillou rougeâtre recouvert d’oxyde de fer ait
pu se parer des vertus du dieu de la Guerre passe encore. On voit
bien comment une observation pertinente – celle de la couleur –
suscite une interprétation symbolique simple et élémentaire. Mais,
une fois connue la nature de l’astre en question, que ce jeu
associatif puisse perdurer même après avoir perdu toute
signification réelle ne laisse pas d’étonner.
Il n’est certes pas nécessaire de comprendre la nature d’un
phénomène pour établir son existence. La question première, au-delà
de toute polémique, est bien évidemment de savoir si l’influence
astrologique est attestée par les faits.
Hélas, l’astrologue ne se soucie guère de soumettre ses
hypothèses à un test définitif de réfutation (à l’exception du test
psychologique dit du CPI de Carlson publié dans la revue Nature en
1985 destiné à tester les fondements de l’astrologie de naissance,
et qui a d’ailleurs infirmé la pertinence de l’astrologie). Les
prédictions de catastrophes ne précisent ni l’ampleur des désastres,
ni leur localisation, ni même leur date précise et peuvent
difficilement être démenties. Au demeurant le début de chaque année
voit dans les medias le déferlement de prédictions rarement
vérifiées dont le public ne semble tenir aucun compte. Une
astrologue de renom suggéra une catastrophe liée à l’éclipse du
soleil d’août 1999 et au survol de la Terre par la sonde Cassini et
proposa d’envoyer une pétition à la NASA pour demander de modifier
la date de ce survol !
La grille de lecture des astrologues au demeurant d’une grande
richesse psychologique, est si ambivalente qu’elle offre un nombre
quasi illimité d’interprétations d’un thème astrologique donné. Les
scientifiques qualifient une telle profusion de redondance,
manifeste lorsque le jeu des possibles excède le nombre d’inconnues.
Le lexique astrologique, par sa polysémie, laisse à celui qui
l’utilise une très grande latitude.
La science est à la fois connaissance, démarche et preuve;
universelle, elle tente de transcender les cultures et les
appartenances nationales et évolue sans revendiquer aucune adhésion
psychique préalable à la connaissance du monde. Le terme astrologie
mériterait en revanche le pluriel tant les écoles sont diverses. Les
différentes et nombreuses écoles d’astrologie s’opposent ou
s’ignorent, sans consensus ni même besoin de consensus.
"Public attitude"
26 % des personnes interrogées en France déclarent “ croire aux
prédictions des astrologues; parmi elles, un tiers tient compte des
horoscopes dans leur vie;
– 41 % des personnes interrogées déclarent croire à l’explication des
caractères par les signes astrologiques ;
– 13 % environ ont déjà consulté un astrologue.
L’engouement du public pour l’astrologie se porte de plus en plus
vers une psychologie destinée à libérer les potentialités de chacun.
Lors d’une séance, l’astrologue œuvre dans le champ de l’affectivité
et non de la rationalité. Le client se trouve en situation d’attente
croyante, un mécanisme par lequel une personne n’attend et n’entend
d’un tiers que ce qu’elle est venue chercher. L’astrologie demeure à
ses yeux l’art de prédire l’avenir, avenir écrit selon des tendances
acquises dès la naissance par l’entremise des astres. Mais cette
privation d’exercice du libre arbitre représente une aliénation et
un fort risque de manipulation psychologique (il n’est d’ailleurs
pas rare de rencontrer des personnes qui ne prennent de décisions
qu’après avoir consulté leur astrologue). Cette vision déterministe
ne peut qu’achopper sur l’irréductible paradoxe dans lequel œuvrent
les astrologues dits psychologues : le libre arbitre d’une
astrologie psychologique prêchant la destinée intérieure se trouve
confronté au déterminisme de l’astrologie prédictive. Comment
concilier cette astrologie intérieure avec les coups de chance ou de
malchance que Jupiter ou Saturne provoquent en passant sur le soleil
de naissance ? Selon son degré d’adhésion, le client entendra avec
ou sans retenue ce qui lui sera révélé. L’astrologie, dans la très
grande majorité des cas, poursuit une finalité lucrative c’est
pourquoi l’astrologue ne formule pas des propositions mais des
assertions, à l’opposé des interprétations généralement prudentes
énoncées par un psychothérapeute.
L’influence des astrologues ne s’exerce pas uniquement sur la sphère
privée. Elle a pénétré le champ politique et la société civile.
Certaines entreprises utilisent l’astrologie pour leur recrutement,
jugée parfois plus apte à évaluer le potentiel des candidats que
leurs cv et motivation ! Une astrologie financière, fondée sur le
mouvement apparent d’Uranus fait rage jusqu’à Wall Street, et le
signe astrologique intervient même dans le calcul des tarifs de
certaines compagnies d'assurances !
La croyance astrologique n’est pas l’apanage de ceux qui ont eu
accès à une instruction poussée mais prospère dans une sorte
d’entre-deux. L’attitude croyante envers l’astrologie augmente avec
l’intérêt déclaré pour la science, culmine parmi les classes
moyennes salariées détentrices d’un diplôme de niveau intermédiaire
puis diminue pour la classe de savoir la plus élevée (chez les
scientifiques notamment). Le sociologue Theodor Adorno relevait que
la croyance en astrologie caractérise un état d’esprit qu’il nommait
semi-érudition. Le semi-érudit emprunterait des raccourcis non
scientifiques afin de trouver des réponses à des questions sur son
avenir en raison d’une conversion inachevée au système de pensée
scientifique
La nature de l’astrologie
L’astrologie n’est certes pas monolithique mais trouve son ancrage
dans un courant de pensée commun qui la rattache à une tradition.
Elle tisse un lien social et permet à un ensemble de personnes de
s’identifier à une communauté culturelle.
Nous avons caractérisé deux classes d’astrologues. Ceux qui se
disent scientifiques qui ont la conviction de travailler dans un
monde d’influence physique causale, celui du ciel. L’astrologie fait
alors figure de science opportuniste, qui utilise des concepts venus
d’autres champs. D’autres choisissent de ne considérer le ciel que
comme une grille de lecture symbolique et utilisent volontiers des
récits mythiques pour élargir leurs interprétations et leur donner
un sens plus profond que le simple lien de cause à effet.
L’astrologie peut également être perçue comme un langage qui agence
des mots par l’usage d’un vocabulaire et d’une technique
grammaticale spécifiques. Les problèmes soulevés par les astronomes
n’embarrassent que fugitivement ces astrologues pour qui l’objet de
l’astrologie n’est pas le ciel mais l’homme, à la fois sujet et
objet.
Sur le fond, les divergences sont flagrantes. L’astrologue
scientifique mathématise son art. L’astrologue métaphysicien
déclare, quant à lui, n’attacher aucune importance à une soi-disant
astrologie scientifique. Il existe un entre-deux, probablement le
plus répandu, pour qui la pratique relève de l’intuition pénétrante,
de la psychologie et de déductions habiles. Pour cette communauté
d’astrologues, le ciel est véritablement pour quelque chose dans nos
destinées, l’astrologie n’en serait que l’interprète.
Le discours astrologique jouit d’une extrême plasticité qui
explique sa capacité à s’adapter aux données culturelles des
sociétés modernes ou postmodernes. Elle est probablement due à la
polysémie – la multiplicité des sens possibles – de chacun des
facteurs qui constituent le thème natal. Globalisante, l’astrologie
séduit car elle parvient toujours à s’introduire dans notre réalité
sans que le ciel y soit pour quelque chose. Ses prémisses et
méthodes diffèrent profondément de celles de la science et ne
résistent pas davantage à l’analyse des sciences de l’homme. Son
exploitation commerciale débridée et les nombreuses déviances dont
elle fait objet ne sauraient qu’être condamnées

L’astrologie,
Daniel Kunth et Philippe Zarka,
Collection Que Sais-je
N° 2481,
Editions. PUF, février. 2005
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