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Tempête dans l'atmosphère d'une exoplanète

En utilisant le Télescope spatial Hubble (NASA/ESA), les astronomes ont observé des changements importants dans la haute atmosphère d'une planète lointaine. Juste après une forte éruption de son étoile observée en rayons-X, la planète a subi un violent épisode d'échappement atmosphérique. Il s'agit de la première observation détaillée de variations dans l'atmosphère d'une planète extrasolaire; ce résultat contribue à notre connaissance des variations climatiques et des changements météorologiques dans des conditions extrêmes.

L'équipe dirigée par Alain Lecavelier des Etangs (IAP, CNRS-UPMC) a utilisé le télescope Hubble pour observer l'atmosphère de l'exoplanète HD 189733b [1]. La planète a été observée deux fois alors qu'elle passait devant son étoile à la manière de Vénus devant le Soleil : la première fois en avril 2010, puis en septembre 2011. Lors de ces passages, l'atmosphère de la planète imprime sa signature sur la lumière de l'étoile, qui est analysée à l'aide des spectrographes du télescope Hubble [2], permettant ainsi aux astronomes de mesurer les propriétés de cette atmosphère. Les observations ont été effectuées afin de confirmer ce que l'équipe avait déjà vu une première fois dans un autre système planétaire : l'évaporation de l'atmosphère d'une exoplanète (heic0303).

La découverte de changements dans l'atmosphère d'une exoplanète

La première série d'observations obtenues en avril 2010 ne montrait aucune trace de l'atmosphère de la planète. Mais lorsque Hubble a observé un deuxième passage de la planète en septembre 2011, la signature de l'atmosphère en évaporation est apparue de manière évidente. Le spectre obtenu avec Hubble montre un panache de gaz s'échappant de la planète à un rythme d'au moins 1000 tonnes d'hydrogène par seconde. Ce résultat constitue la première observation détaillée de variations temporelles dans l'atmosphère d'une exoplanète : de l'exo-météorologie. L'impact est double : cela confirme que les atmosphères des planètes géantes proches de leur étoile peuvent s'évaporer, et, plus encore, cela montre que les conditions physiques qui règnent dans cette atmosphère en évaporation varient au fil du temps.

Pourquoi ce changement?

L'évaporation observée est provoquée par l'énergie apportée par l'étoile sous la forme de rayonnements ultraviolets et de rayons-X. Ce scenario est renforcé par des observations simultanées obtenues avec l'observatoire satellite de la NASA, Swift, qui observe en rayons-X [3]. Quelques heures avant que Hubble n'observe pour la deuxième fois, Swift a enregistré un flash de rayonnement X en provenance de la surface de l'étoile. Il est très probable que l'énergie apportée à la planète par cette éruption a produit l'évaporation vue quelques heures plus tard avec Hubble. Un processus similaire, même s'il est moins spectaculaire, se produit lorsqu'une éruption solaire frappe l'ionosphère de la Terre, perturbant nos communications radios.

Alors que l'éruption observée en rayons-X est la cause la plus probable des changements atmosphériques de la planète HD 189733b, d'autres explications sont aussi possibles. Par exemple, il se peut que le flux d'émission X de l'étoile ait augmenté progressivement entre 2010 et 2011, dans un processus similaire au cycle de 11 ans du Soleil. Il se peut également que, simultanément à l'éruption stellaire, une augmentation du vent de protons en provenant de l'étoile ait provoqué une accélération des couches extérieures de l'atmosphère de la planète, la rendant ainsi plus facile à détecter. Les questions qui restent posées trouveront peut-être leurs réponses dans les prochaines observations simultanées de Hubble et de l'observatoire X de l'Agence Spatiale Européenne, XMM-Newton. Quoiqu'il en soit, il est certain que la planète a été frappée par une éruption stellaire et que les conditions physiques de la haute atmosphère de la planète ont changé drastiquement, au point que l'échappement des hautes couches de l'atmosphère de la planète est devenu visible avec Hubble.

D'une manière plus générale, cette recherche apporte des informations importantes sur les planètes géantes qui orbitent près de leur étoile, mais aussi sur les planètes de plus petite taille comme la Terre. En effet, les "super-Terres" rocheuses découvertes près de leurs étoiles comme Corot-7b ou Kepler-10b, pourraient être des résidus de l'évaporation de planètes géantes comme HD 189733b. Ces planètes, initialement des géantes gazeuses, se seraient trouvées trop proches de leur étoile pour résister à une évaporation catastrophique et auraient perdu l'essentiel de leur enveloppe gazeuse, ne laissant que leur noyau central solide mis à nu [4].

Notes :
[1] La planète HD 189733b est une exoplanète de type "Jupiter-chaud". Elle orbite autour de l'étoile HD 189733, située à environ 60 années-lumière de la Terre. Les Jupiters-chauds sont des planètes géantes gazeuses qui orbitent très près de leurs étoiles parentes. HD 189733b est très proche de son étoile, à seulement 1/30e de la distance entre le Soleil et la Terre, ce qui a pour conséquence que la température y est supérieure à 1000 °C. Même Mercure, la planète la plus proche du Soleil, est environ 10 fois plus loin. HD189733b fait le tour de son étoile en 53 heures, elle est environ 10% plus massive et plus grande que Jupiter. L'atmosphère de HD189733b est brumeuse et composée principalement d'hydrogène. Les observations menées dans le visible ont montré que, à l'instar de la Terre, l'atmosphère de cette planète diffuse plus dans les courtes longueurs d'onde et par conséquent que le ciel y est bleu.

[2] Cette méthode d'observation des exoplanètes est connue sous le nom de la méthode des transits, car elle tire avantage du fait que, vu de la Terre, la planète passe en transit devant le disque de son étoile parente. Seule une petite fraction des exoplanètes peut être étudiée en utilisant la méthode des transits, car l'orbite de la planète doit être vue parfaitement de profil. Toutefois, pour les planètes où c'est le cas, l'observation des transits est un outil extrêmement puissant pour caractériser les exoplanètes. Les observations ont été réalisées à l'aide du Hubble Space Telescope Imaging Spectrograph (STIS), un instrument qui, à la manière d'un prisme, divise la lumière en ses couleurs élémentaires. La brillance à des longueurs d'onde différentes est analysée comme une empreinte de la composition chimique; la lumière porte la signature des propriétés physiques et même du mouvement du gaz qu'elle traverse. Dans le cas présent, les observations menées par le télescope Hubble consistent à observer le gaz d'hydrogène s'échappant de l'atmosphère de l'exoplanète.

[3] Le satellite Swift est un observatoire international mis au point par la NASA, l'UK Science and Technology Facilities Council et l'Agence spatiale italienne (ASI). Son principal objectif est la détection et l'étude des sursauts gamma, mais ses télescopes en rayons-X et en ultraviolets sont également utilisés pour d'autres observations astronomiques.

[4] Les "super-Terres" constituent une classe d'exoplanètes rocheuses avec une masse de quelques fois celle de la Terre. Les super-Terres dans la zone habitable de leurs étoiles (la zone où la température permet à l'eau d'être à l'état liquide) sont considérées comme de bonnes candidates pour la recherche de la vie. Les exoplanètes Kepler-10b et CoRoT-7b sont considérées comme des super-Terres, mais sont beaucoup trop proches de leurs étoiles pour maintenir l'eau à l'état liquide. Ce sont probablement les résidus, noyaux rocheux, de planètes semblables à HD 189733b dont l'intégralité de l'atmosphère s'est évaporée.

Le Télescope spatial Hubble est un projet en coopération internationale entre l'ESA et la NASA.

L'équipe internationale qui a publié cette étude se compose de :

A. Lecavelier des Etangs (Institut d'astrophysique de Paris, CNRS, UPMC, France)
V. Bourrier (Institut d'astrophysique de Paris, CNRS, UPMC, France)
P.J. Wheatley (Département de Physique, Université de Warwick, Royaume-Uni )
H. Dupuy (Institut d'astrophysique de Paris, CNRS, UPMC, France)
D. Ehrenreich (Institut de Planétologie et d'Astrophysique de Grenoble, UJF / CNRS, Grenoble, France)
A. Vidal-Madjar (Institut d'astrophysique de Paris, CNRS, UPMC, France)
G. Hébrard (Institut d'astrophysique de Paris, CNRS, UPMC, France)
G.E. Ballester (Lunar and Planetary Laboratory, University of Arizona, USA)
J.-M. Désert (Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, USA)
R. Ferlet (Institut d'astrophysique de Paris, CNRS, UPMC, France)
D.K. Sing (Groupe d'Astrophysique, School of Physics, University of Exeter, UK).

L'étude est publiée par Astronomy & Astrophysics dans un article intitulé "Temporal variations in the evaporating atmosphere of the exoplanet HD189733b".

Contact :
- Alain Lecavelier des Etangs
Institut d'astrophysique de Paris (IAP) CNRS-UPMC, Paris - France
lecaveli à iap.fr
Tél. : +33 01 4432 8077

- Vincent Bourrier
Institut d'astrophysique de Paris (IAP) CNRS-UPMC, Paris - France
bourrier à iap.fr
Tél. : +33 01 4432 8081

- David Ehrenreich
Institut de Planétologie et d'Astrophysique de Grenoble, l'UJF / CNRS, Grenoble, France
david.ehrenreich à obs.ujf-grenoble.fr
Tél. : +33 04 7651 4013

Liens :
Le site du Télescope Spatial (en anglais)
http://www.spacetelescope.org/news/heic1209/
Le site de la NASA (en anglais)
http://www.nasa.gov/topics/universe/features/exoplanet-atmosphere.html


Vue d'artiste de l'exoplanète HD 189733b
Cette vue d'artiste montre l'exoplanète HD 189733b, au moment où elle passe devant son étoile parente, HD 189733A. Les instruments de Hubble ont observé ce système planétaire en 2010 et en 2011, suite à une éruption majeure à la surface de cette étoile (que l'on peut voir sur cette image). Suite à cette éruption, Hubble a observé l'évaporation de l'atmosphère de la planète avec un taux d'environ 1000 tonnes par secondes. Sur cette image, la surface de cette étoile, qui représente à peu près 80% de la masse du Soleil, est basée sur des observations du Soleil effectuées par le satellite de la NASA, Solar Dynamics Observatory.
Crédit: NASA, ESA, L. Calçada

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