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Les pulsars binaires contre le temps absolu : la bataille finale

En étudiant de près les orbites de pulsars binaires, une équipe internationale de scientifiques dont un membre de l'IAP, apporte de nouvelles contraintes sur le célèbre principe dit de l'invariance de Lorentz.

Les pulsars binaires sont en effet d'excellents laboratoires pour tester les piliers de la théorie de la relativité générale d'Einstein. L'un de ces piliers est la symétrie de Lorentz, qui énonce que les phénomènes physiques apparaissent identiques pour tous les observateurs en mouvement dans un système de référence inertiel donné.

La vie quotidienne nous fait penser que la vitesse d'un objet dépend de notre propre mouvement. La lumière, cependant, se déplace à la même vitesse indépendamment de ce que l'observateur fait, comme démontré par l'expérience de Michelson et Morley en 1887. Ce fait est à la base de la théorie de Maxwell de l'électromagnétisme et joue un rôle clé dans les théories de la relativité restreinte et générale d'Einstein. Mais, selon Einstein, non seulement la vitesse de la lumière est la même dans tous les référentiels, mais les lois de la physique devraient être en plus indépendantes du mouvement de l'expérimentateur, tant que ce mouvement n'est pas accéléré. Cette idée a été proposée pour la première fois par Galilée, et est connue sous le nom de "principe d'équivalence".

L'outil mathématique utilisé par Einstein pour appliquer le principe d'équivalence est l'invariance de Lorentz, c'est-à-dire l'idée que l'écoulement du temps et la distance entre les objets ne sont pas absolus, mais dépendent de l'observateur. Cette idée radicale contraste fortement avec les idées postulées par Newton au 17e siècle, mais elle a aujourd'hui été vérifiée expérimentalement par la physique des particules et des rayons cosmiques. La vérification de l'invariance de Lorentz au travers d'expériences purement gravitationnelles est beaucoup plus difficile cependant. Ces vérifications sont nécessaires parce que certains modèles de la gravitation quantique, visant à concilier la gravité avec la mécanique quantique, ont prédit que l'invariance de Lorentz devrait être violée principalement en gravité et non dans des expériences de physique des particules.

Dans cet article, les chercheurs démontrent que si l'invariance de Lorentz est violée, un temps absolu (ou "préféré") apparaîtrait, ressuscitant dans un certain sens le temps absolu de Newton. Cependant, ce temps absolu serait en contradiction avec les observations des pulsars binaires. Les pulsars sont des objets compacts, comme les naines blanches et les étoiles à neutrons, et peuvent exister en orbites binaires l'un autour de l'autre. En fait, un tel système binaire a permis à Hulse et Taylor d'obtenir la vérification la plus convaincante de la théorie de la relativité générale d'Einstein, qui a leur permis de recevoir un prix Nobel en 1993. Si l'invariance de Lorentz était violée et qu'un temps préféré ou absolu existait, certaines "ondulations" dans ce temps absolu seraient créés. Ces "ondes de temps" soustraient de l'énergie du système binaire, forçant l'orbite à se dégrader (c'est-à-dire à diminuer la distance qui sépare les pulsars) plus rapidement que prévu dans la théorie d'Einstein. Comme les observations actuelles de la dégradation des orbites des pulsars binaires correspondent exactement aux prédictions de la théorie d'Einstein (en prenant en compte les marges d'erreurs observationnelles), on peut placer des contraintes plus strictes sur les violations de l'invariance de Lorentz en gravité. Plus précisément, on peut limiter les constantes de couplage des théories de la gravitation plus génériques qui violent l'invariance de Lorentz à basse énergie, c'est à dire la théorie d'Einstein-éther et la théorie de gravité de Horava. Cette étude réduit les valeurs autorisées d'un facteur d'environ 100 et 10 (respectivement) par rapport aux contraintes déjà existantes.

Figure 1
Contraintes sur les violations de l'invariance de Lorentz en gravité, avant (bleu ciel et orange) et après (pourpre) notre article.
c+, c-, λ et β sont les constantes de couplage des théories de la gravitation plus génériques qui violent l'invariance de Lorentz à basse énergie.
Article publié le 24 avril 2014 dans la revue Physical Review Letters : http://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/PhysRevLett.112.161101
Voir aussi : http://journals.aps.org/prd/abstract/10.1103/PhysRevD.89.084067

Contact :
Enrico Barausse
Institut d'astrophysique de Paris-CNRS-UPMC
barausse à iap.fr
Tél. : 01 73 77 55 12

In English:
BINARY PULSARS VS ABSOLUTE TIME: THE FINAL BATTLE
Everyday life makes us think that the velocity of an object depends on our own motion. Light, however, travels at the same speed, regardless of what the observer is doing, as shown experimentally by Michelson and Morley in 1887. This fact is the basis of Maxwell's theory of electromagnetism and plays a key role in Einstein's theories of Special and General Relativity. But according to Einstein, not only is the speed of light the same in all laboratory frames, but all of physics should be independent of the experimenter's motion, as long as the latter is not accelerated, an idea first stated by Galileo that has come to be known as the equivalence principle.

The mathematical tool used by Einstein to enforce equivalence is Lorentz invariance: the idea that the flow of time and the distance between objects is not absolute, but rather they depend on the observer. This radical idea was in stark contrast to Newton's 17th century view of Nature, but it has now been verified experimentally through particle physics and cosmic rays experiments. Verifying Lorentz invariance with purely gravitational experiments, however, is a much more difficult task. Such tests are necessary because certain models of quantum gravity, aimed at reconciling gravity with quantum mechanics, have predicted that Lorentz invariance should be broken dominantly only in gravity.

In this paper, we showed that if Lorentz invariance were broken, an absolute "preferred" time would emerge (in a sense resurrecting Newton's absolute time) that would conflict with observations of binary pulsars. The latter are compact objects, like white dwarfs and neutron stars, in binary orbit around each other. In fact, one such system allowed Hulse and Taylor to obtain the most striking verification of Einstein's theory of General Relativity, which led to a Nobel Prize in 1993. If Lorentz invariance were broken and a preferred time existed, then certain "ripples in time" would be created that would take energy away from the binary system, forcing the pulsars' orbit to decay faster than predicted in Einstein's theory. Since the observed orbital decay matches the predictions of Einstein's theory exactly (within the observational errors), one can place the most stringent constraints on gravitational violations of Lorentz invariance. More specifically, one can constrain the coupling constants of the most generic Lorentz-violating gravity theories at low energies, namely Einstein-aether theory and Horava gravity, reducing their viable values by a factor roughly 100 and 10 (respectively) relative to existing constraints.

30 avril 2014

Institut d'Astrophysique de Paris - 98 bis boulevard Arago - 75014 Paris