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On a retrouvé la matière noire dans les galaxies elliptiques !


Une équipe internationale de chercheurs, conduite par Avishaï Dekel de l'université Hébraïque de Jérusalem et Gary Mamon, de l'Institut d'astrophysique de Paris (CNRS- Université Pierre et Marie Curie), avec Felix Stoehr, jeune chercheur maintenant à l'Institut d'Océanographie Dynamique et de Climatologie à Paris (de l'Université Pierre et Marie Curie), vient d'expliquer comment la matière noire a pu échapper jusque là aux observations dans les galaxies elliptiques. Elle contribue ainsi à retirer une critique sérieuse au modèle standard de la formation et l'évolution des galaxies.

Par une belle nuit étoilée, la vue de cette tranche diffuse que l’on appelle Voie Lactée signifie que la majorité des étoiles de notre galaxie est distribuée sous forme de disque. On serait tenté de penser que l’ensemble de la matière des galaxies est distribué comme les étoiles que nous y observons. Cependant, nous savons depuis 30 ans que, contrairement aux étoiles, l’ensemble de la matière composant les galaxies spirales (Figures. 1 et 2) comme notre Voie Lactée ne prend pas la forme d’un disque.

En effet, pour un système dont la masse est concentrée au centre et dont les composants tournent en orbites circulaires, la gravitation de Newton nous enseigne que les vitesses de révolution de ces composantes doivent être d’autant plus faibles qu’elles sont éloignées du centre. Ainsi, dans le Système Solaire, les planètes loin du Soleil tournent autour de notre astre plus lentement que les planètes les plus proches. Or, dans les régions externes des galaxies spirales, on observe que les vitesses de révolution des étoiles ne diminuent pas avec leur distance au centre. D’autre part, dans la gravitation de Newton, plus il y a de masse, plus les astres tournent vite autour du centre de leur système. Cela nous force à admettre une présence plus importante de masse aux bords des galaxies spirales que ne le suggère la distribution observée des étoiles. Ainsi, les astronomes ont déduit que chaque galaxie spirale est incluse dans un cocon de matière invisible que l'on appelle halo de matière noire.

Aujourd'hui, plusieurs analyses d’observations très diverses confirment notre modèle standard de la formation des structures de l’Univers, dans lequel plus de 80% de la masse de l'Univers est composée de matière noire, sous forme de particules, différentes des protons, neutrons et électrons qui composent la Terre et ses habitants. Ces particules de matière noire n'ont toujours pas été détectées, mais plusieurs équipes de physiciens en France et dans le monde s’y emploient activement. Dans ce modèle standard, toutes les galaxies baignent dans des halos de matière noire.
 

© B. Hugo & L. Gaul/A. Block/NOAO/AURA/NSFFig. 1 Galaxie spirale (vue de tranche) NGC 4565

© Gemini Observatory
Fig. 2
Galaxie spirale (vue de face) Messier 74


Il existe d’autres galaxies plus rondes en apparence, dites galaxies elliptiques (Fig. 4). Il est généralement admis qu’une galaxie elliptique est formée par une collision de galaxies spirales de masse comparable, qui conduit à leur coalescence. Mais si les galaxies spirales sont incluses dans des halos de matière noire, on devrait en conclure de même pour les galaxies elliptiques. Malheureusement, les galaxies elliptiques ne sont pas en rotation, ce qui ne permet pas de déterminer directement leur distribution de matière noire. Néanmoins, les mouvements désordonnés de leurs étoiles nous renseignent sur leur distribution de masse, et par conséquent sur une éventuelle présence de matière noire.

© Z. Frei & J. E. Gunn

Fig. 3 Galaxie elliptique NGC 3379

En 2003, une équipe internationale avait pu mesurer les vitesses d'une centaine d'étoiles spéciales, dites nébuleuses planétaires (PN par leur acronyme anglais), dans les régions externes de 3 galaxies elliptiques. Les PN sont des étoiles facilement observables individuellement par le gaz qu’elles viennent d’éjecter. Les astronomes de cette équipe ont ainsi découvert que les PN les plus éloignées du centre de leur galaxie elliptique ont des vitesses très faibles.

Après une étude sophistiquée des mouvements attendus dans une galaxie elliptique, les membres de cette équipe ont conclu que les faibles vitesses de ces PN impliquaient une très faible quantité de matière noire dans les galaxies elliptiques. Ce manque de matière noire est en contradiction directe avec les prédictions du modèle standard de formation des structures de l'Univers.

Faut-il alors revoir le modèle standard ?

La réponse vient d’être apportée par une autre équipe internationale, conduite par Avishaï Dekel de l'université Hébraïque de Jérusalem et titulaire d’une chaire internationale Blaise Pascal et Gary Mamon, de l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP-CNRS-UPMC), avec Felix Stoehr, jeune chercheur maintenant à l'Institut d'Océanographie Dynamique et de Climatologie à Paris, ainsi que trois collègues aux États-unis. Au moyen de simulations numériques réalisées sur des super-ordinateurs, ces astrophysiciens ont étudié les galaxies elliptiques formées par coalescence de deux galaxies spirales baignant chacune dans son halo de matière noire.

Ces simulations, entreprises par Thomas Cox, l’un des membres de l’équipe, confirment le scénario de coalescence des galaxies (Fig. 4) : après une première approche, les galaxies repartent puis reviennent car attirées l'une vers l'autre, et lors de la seconde approche, les perturbations gravitationnelles sont si fortes que les deux galaxies fusionnent pour former une galaxie elliptique.

Fig. 4 Simulation numérique (en fausses couleurs) de la coalescence de deux galaxies spirales. Entre les instants initial (deux galaxies spirales à gauche) et final (galaxie elliptique à droite) les deux galaxies sont fortement perturbées par leur interaction gravitationnelle mutuelle et ne paraissent plus rondes. © T. J. Cox  2004

Dekel et ses collaborateurs s’attendaient à trouver des vitesses assez élevées le long de la ligne de visée (voir fig. 7) pour les étoiles situées aux bords de chaque galaxie elliptique, puisque ces galaxies elliptiques contenaient une forte quantité de matière noire héritée des deux galaxies spirales initiales. Or, à leur grande surprise, Dekel et ses collaborateurs ont découvert que ces étoiles ont les mêmes faibles vitesses le long de la ligne de visée que les PN observés par la première équipe. Par ailleurs, ces galaxies simulées ressemblent en tous points aux elliptiques observées, autant structurellement que par les détails des mouvements observés.

Fig. 5 Vitesses caractéristiques le long de la ligne de visée en fonction de la distance au centre de la galaxie. Les symboles représentent les observations, les courbes vertes montrent la modélisation de la 1ère équipe avec (courbe du haut) et sans (courbe du bas) matière noire, et les courbes rouges indiquent les résultats moyennés sur les 10 simulations effectuées par la 2nde équipe, chacune visualisée dans les 3 directions de l’espace. Les quantités sur les deux axes sont normalisées au rayon Reff qui contient la moitié de la masse en étoiles de la galaxie.

Dekel, Stoehr, Mamon et leurs collègues se sont demandé pourquoi les analyses, dites cinématiques, des mouvements des étoiles à un instant donné dans les galaxies elliptiques ne reproduisent les observations que lorsque les galaxies sont modélisées sans matière noire, alors que les analyses dynamiques, par simulations de fusions de galaxies spirales comprenant des fortes quantités de matière noire, reproduisent parfaitement les observations des galaxies elliptiques.

L'analyse des simulations a montré que les étoiles situées loin du centre de ces galaxies naviguent sur des orbites très allongées, similaires aux orbites des comètes autour de notre Soleil (fig. 6).

Fig. 6 Forme des orbites en fonction de la distance au centre de la galaxie, moyennée sur les 10 simulations. Fig. 7 Loin du centre, la vitesse d’une orbite allongée mesurée le long de la ligne de visée est plus faible que dans le cas d’une orbite circulaire.

La violence de la collision des deux galaxies conduit à les déformer et à envoyer certaines étoiles à de grandes distances du centre de la galaxie elliptique finale. Dekel, Mamon et leurs collègues ont alors expliqué que les étoiles loin du centre de la galaxie finale étaient auparavant très concentrées dans la paire des deux galaxies spirales au moment de leur 1er passage. Or, une trajectoire allongée est requise pour rapidement déplacer une étoile du centre de la paire vers les régions externes de la galaxie finale. Ces étoiles loin du centre se déplacent donc dans une direction perpendiculaire à la ligne de visée (voir fig. 7), ce qui explique leurs faibles vitesses apparentes.

D’autres processus physiques contribuent à accroître la dichotomie entre analyses cinématiques et simulations dynamiques. En particulier, les galaxies elliptiques simulées sont légèrement aplaties comme des disques très épais, et le choix d'observer des galaxies d'apparence ronde conduit à sélectionner des galaxies vues de face. Comme les vitesses sont plus grandes dans le plan de symétrie de ces disques, les vitesses observées perpendiculairement au disque sont alors plus faibles que lorsqu’elles sont observées sous d'autres angles.

La nouvelle analyse montre donc que les étoiles à la périphérie d'une galaxie elliptique issue de la fusion de deux galaxies spirales, possédant un halo de matière noire, ont les mêmes faibles vitesses le long de la ligne de visée que les vitesses observées.

La conclusion de l'équipe précédente sur le manque de matière noire était basée sur une analyse qui n'avait pas pris en considération des orbites si radiales, qui conduisent à de faibles vitesses lorsqu'elles sont projetées le long de la ligne de visée. Le modèle standard de formation des structures de l'Univers est donc toujours d'actualité.

L'analyse de Dekel, Stoehr, Mamon et collaborateurs est publiée comme Lettre dans le numéro du 29 septembre 2005 de la revue Nature.
 

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Gary Mamon  

septembre 2005