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PREMIÈRE DÉTECTION CONJOINTE DES ÉMISSIONS GRAVITATIONNELLE ET LUMINEUSE D'UNE COALESCENCE D'ÉTOILES À NEUTRONS

Le 17 août 2017, un événement exceptionnel a mobilisé la communauté astronomique internationale : la fusion de deux étoiles à neutrons a été détectée à la fois en ondes gravitationnelles et par l’émission lumineuse qui l’a suivie, un sursaut court dans le domaine des rayons gamma, et une kilonova dans les domaines visible et proche infrarouge. C’est le début d’une nouvelle astronomie à plusieurs messagers, gravitationnels et lumineux. De manière remarquable, les observations confirment en grande partie le scénario théorique qui était envisagé pour ces phénomènes cataclysmiques rares. Par leurs travaux théoriques en amont et leur participation à la campagne d’observations de cet événement, des chercheurs de l’IAP ont contribué de façon importante à cette découverte, dont les premiers résultats ont été rendus publics lundi 16 octobre 2017.

Le 17 août 2017, à 12h41 TU, les deux interféromètres LIGO (États-Unis) détectent un signal d'ondes gravitationnelles, interprété rapidement comme provenant de la fusion de deux étoiles à neutrons. Moins de 2 secondes après, un sursaut gamma est détecté par le satellite Fermi, qui informe immédiatement la communauté astronomique selon une procédure complexe mais très rapide, utilisant un réseau américain de satellites de communication. Quarante minutes plus tard, c’est au tour de la collaboration entre LIGO et le 3ème interféromètre Virgo, situé en Italie, d’annoncer sa détection commune, en soulignant la coïncidence temporelle avec le sursaut gamma et en précisant que le signal gravitationnel correspond à une coalescence d’étoiles à neutrons. De nombreux observatoires se mobilisent alors pour rechercher d’autres émissions associées à ce phénomène. Ils bénéficient pour cela, dans les quelques heures qui suivent l’annonce initiale, des résultats de l’analyse conjointe des données des trois interféromètres LIGO-Virgo. Celle-ci fournit une estimation de la distance, de l’ordre de 40 mégaparsecs (soit environ 130 millions d'années-lumière), et une localisation de la source sur le ciel, dans une région d’environ 30 degrés carrés (Figure 1). C’est la première fois qu’une telle précision est obtenue pour une émission d’ondes gravitationnelles.

Figure 1Figure 1 : Les boites d’erreur des différents instruments, montrant l’apport crucial de Virgo pour réduire l’incertitude sur la position de la source dans le ciel : LIGO seul en vert clair, LIGO + Virgo en vert foncé. Sont montrées pour comparaison les larges boîtes d’erreur en rayons gamma provenant des détections par Fermi (bleu foncé) et Integral (bleu clair). C’est l’intersection de ces diverses boîtes d’erreur qui a permis de limiter la zone dans laquelle les astronomes ont recherché l’émission optique. L’image optique (en haut à droite) montre la galaxie lenticulaire NGC 4993, dans le halo de laquelle a été détectée la kilonova[1] (à l’intersection des tirets perpendiculaires, au dessus et à gauche du centre de la galaxie). L’image optique du bas à droite montre qu’il n’y avait pas d’étoile visible à cet endroit 20 jours avant la fusion, alors que dans l’image du haut, la kilonova est de même intensité que les étoiles visibles dans le champ (qui, elles, appartiennent à la Voie Lactée, et sont donc beaucoup plus proches (Source : Abbott et al. 2017, The Astrophysical Journal Letters).

Il est crucial d’aller très vite pour rechercher des « contreparties », c’est-à-dire d’autres types d’émission provenant du même objet. Celles qui sont attendues lors d’un tel phénomène faiblissent vite et peuvent rapidement devenir indétectables. L’information de la distance fournie par les ondes gravitationnelles permet à plusieurs observatoires d’optimiser leur recherche en se concentrant sur les quelques dizaines de galaxies proches situées dans la bonne direction.

C’est une dizaine d'heures après la première alerte, après que la nuit a permis de démarrer les observations au Chili, que la recherche intensive aboutit : une nouvelle source ponctuelle, invisible jusque-là, est d’abord identifiée avec le télescope de 1m à Las Campanas, par la collaboration « Swope Supernovae Survey” dans la galaxie NGC 4993, située à la distance prédite par l’émission des ondes gravitationnelles. Cet événement « transitoire » est baptisé SSS 17a. Cinq autres groupes de chercheuses et chercheurs découvrent la même source indépendamment la même nuit, dans d’autres observatoires.

Une fois cette contrepartie visible identifiée, des observations utilisant de très nombreux télescopes au sol et dans l’espace sont faites dans les heures, jours et semaines qui suivent, dans un exemple rare de collaboration à l’échelle mondiale. Ces observations permettent d’identifier la contrepartie visible comme une kilonova[1] et d’étudier son évolution en détail.


L’émission d’ondes gravitationnelles

L’apparition, dans un interféromètre comme ceux de LIGO-Virgo, d’un signal de fréquence rapidement croissante puis qui disparaît, est la signature de la réception sur Terre d’ondes gravitationnelles en provenance de la coalescence de deux objets compacts. Dans le cas de l’événement du 17 août 2017, le signal est détecté pendant 100 secondes dans les deux interféromètres de LIGO. La Figure 2 montre les trente dernières secondes dans l’un des deux interféromètres.

Figure 2Figure 2 : Diagramme produit par l’interféromètre LIGO-Hanford (État de Washington) qui montre l’augmentation de la fréquence du train d’ondes gravitationnelles avec le temps, indiquée par la traînée de densité plus élevée (vert-jaune), allant de bas en haut lorsque le temps augmente (vers la droite). Ce signal est produit alors que les deux étoiles à neutrons se rapprochent en spiralant l’une autour de l’autre. Le graphe ne montre que les trente dernières secondes de la détection. L’infléchissement vers le haut de la courbe correspond à la dernière phase, lorsque les deux étoiles à neutrons spiralent de plus en plus vite, et se termine par la fusion proprement dite, appelée « coalescence », qui est prise comme instant 0 (Source : Abbott et al. 2017, Physical Review Letters).

Les ondes gravitationnelles sont des vibrations de l'espace-temps prédites par la théorie de la relativité générale, qui se propagent à la vitesse de la lumière et sont engendrées par le déplacement très rapide, dit « relativiste » (c’est-à-dire à une vitesse proche de celle de la lumière) de quantités importantes de matière. Les systèmes binaires[2] d'objets compacts, comme les étoiles à neutrons[3], engendrent des ondes gravitationnelles à des fréquences proportionnelles à la fréquence orbitale du mouvement des deux étoiles l'une autour de l'autre. L'onde emporte une partie de l'énergie du système, ce qui fait que les deux étoiles se rapprochent progressivement l'une de l'autre dans un mouvement « spiralant », dont la fréquence orbitale (c’est-à-dire le nombre de tours d'orbites qu’effectuent les étoiles par seconde) est croissante, ce qui se reflète par la montée en fréquence lors de la réception des ondes gravitationnelles (Figure 2). Puis les étoiles finissent par fusionner  : c’est ce qu’on appelle la coalescence.

Dans le cas des étoiles à neutrons, les détecteurs LIGO et Virgo sont les plus sensibles lors de la phase spiralante des deux étoiles, qui précède la fusion finale. Donc l’observation des ondes gravitationnelles précède les émissions électromagnétiques qui sont produites au moment et après la coalescence. Au moment de la fusion, c’est l’équivalent d'une petite fraction de la masse du système (quelques centièmes de la masse du Soleil) qui est prise sur l’énergie d’interaction gravitationnelle des deux étoiles, et est transférée sous forme d’énergie aux ondes gravitationnelles, selon la célèbre formule E = mc2 (l’énergie E est égale au produit de la masse m par la vitesse de la lumière c au carré).

L’observation de l’onde gravitationnelle dans la phase spiralante permet de mesurer les masses séparées des deux étoiles à neutrons et aussi leur « spin » (c’est-à-dire le moment cinétique qui résulte de la combinaison de leur masse et de leur vitesse de rotation). Une analyse préliminaire[4] donne des masses comprises entre 1,36 et 1,60 masse solaires pour la première étoile, et entre 1,17 et 1,36 pour la deuxième (mais une combinaison des deux masses, appelée la masse « chirp », est déterminée avec plus de précision). Ces intervalles de masses pour les deux étoiles sont cohérents avec un système binaire d’étoiles à neutrons.

Dans les dernières rotations orbitales de la binaire avant la fusion, on obtient également des informations sur la déformation des deux étoiles par effet de marée[5]. Cela produit pour la première fois des contraintes directes sur la structure interne de la matière nucléaire au cœur des étoiles à neutrons. Par ailleurs, avec les trois détecteurs LIGO-Virgo, on a également accès aux états de polarisation de l’onde gravitationnelle (c’est-à-dire les répartitions privilégiées de l’orientation des ondes dans l'espace-temps). Cela permet d’obtenir l'inclinaison de l'orbite du système binaire sur le plan du ciel, un paramètre important à prendre en compte lors de la confrontation avec un modèle de sursaut gamma (voir plus bas), ainsi que de tester d’autres théories de la gravitation, différentes de la relativité générale.

Pendant la phase spiralante de deux étoiles à neutrons, l’onde gravitationnelle émise est calculée grâce à l’approximation « post-newtonienne » de la relativité générale. Pendant cette phase, les vitesses des étoiles sont faibles par rapport à la vitesse de la lumière, et permettent cette approximation ; il a même été montré que l’approximation post-newtonienne décrit le mouvement des deux étoiles à neutrons et les ondes gravitationnelles émises avec une précision extrême. Cette méthode a été développée depuis les années 1980 à l'observatoire de Paris-Meudon puis à l'IAP, en particulier par Luc Blanchet et Guillaume Faye, et a été poussée à des ordres d'approximation très élevés.

Les résultats de ces calculs sont utilisés par la collaboration LIGO-Virgo sous forme d'un « patron » d'onde, qui fournit la « prédiction théorique » pour le signal (Figure 3), et permet la détection du signal même lorsque celui-ci est très faible. La forme de chaque patron est définie par les valeurs des masses et spins des étoiles constituant le système binaire, et chacun d’eux est comparé au signal reçu. En cas d’accord avec les données, les paramètres du patron qui ajustent le mieux les données sont les valeurs mesurées des masses et des spins. La précision de l’approximation post-newtonienne est cruciale car le patron doit être capable de suivre avec grande précision le signal dans toute la bande de fréquence du détecteur, soit pendant environ 100 secondes et 1500 cycles orbitaux pour GW170817.

Figure 3Figure 3 : Un exemple de «  patron » d’onde gravitationnelle représentant la variation de l’émission d’ondes gravitationnelles durant la phase spiralante des deux étoiles à neutrons, en fonction du temps (Crédit : collaboration LIGO-Virgo).

Finalement, une propriété remarquable des ondes gravitationnelles est que l’on mesure directement la distance de la source, estimée ici à 40 mégaparsecs, soit 130 millions d’années-lumière. La précision sur la distance mesurée est d'une dizaine de mégaparsecs (environ 30 millions d'années-lumière). Cette distance, combinée avec la mesure du décalage vers le rouge de la galaxie hôte NGC 4993 (voir plus bas), permet d'en déduire une estimation de la constante de Hubble, qui est un des paramètres caractérisant l’expansion de l’Univers. La direction de la source, quant à elle, est obtenue par la différence des temps d'arrivée de l'onde gravitationnelle dans les trois détecteurs. La présence du troisième interféromètre du réseau, Virgo, apporte une amélioration considérable sur la précision de la localisation de la source : celle-ci est située dans une région du ciel d'environ 30 degrés carrés. La connaissance de cette direction facilite grandement la recherche de la contrepartie visible.


Le sursaut gamma

1,7 seconde après la réception des ondes gravitationnelles, le satellite Fermi détecte un sursaut gamma court, c’est-à-dire une émission de photons d’énergie comprise entre quelques dizaines et quelques centaines de kilo-electron-volts, reçus en moins de deux secondes. La Figure 4 montre le signal détecté.

Si la production d’un sursaut gamma à la suite de la coalescence de deux étoiles à neutrons était attendue, l’événement observé présente des caractéristiques étonnantes : il est intrinsèquement 100 000 fois moins lumineux que ceux habituellement observés, qui se trouvent à bien plus grande distance, alors qu’il n’a été émis qu’à « seulement » 130 millions d’années-lumière. Habituellement, les sursauts gamma sont très énergétiques et proviennent d’un jet de matière étroit relativiste dont la production et les caractéristiques sont encore mal comprises. Les astrophysicien.ne.s prédisent qu’un tel jet peut être émis par une source centrale très compacte (concentrant une masse importante dans un très petit rayon) : un trou noir[6] entouré d’un disque d’accrétion (de la matière en orbite autour du trou noir, ce qui lui confère la forme d’un disque), ou une étoile à neutrons de grande masse, en rotation rapide, et avec un champ magnétique très fort. Il s’agit justement des deux possibilités envisagées pour le résultat de la coalescence de deux étoiles à neutrons, ce qui explique que l’association entre l’émission d’ondes gravitationnelles et le sursaut gamma était attendue.

Dans le cas d'un sursaut gamma, le jet relativiste se propage dans un cône d’angle d’ouverture typique entre 5 et 10 degrés, émis dans l’axe du système (l’axe autour duquel tournaient les deux étoiles à neutrons avant la coalescence). La faible luminosité du sursaut associé ici au signal gravitationnel suggère que le système a été vu « de côté », l’émission principale étant passée à côté de la Terre. Cette hypothèse devrait pouvoir être confirmée par l’analyse des observations en rayons X obtenues avec le satellite Chandra neuf jours après le sursaut (alors qu’aucune émission X n’avait été détectée dans les premiers jours suivant le signal gravitationnel).



Figure 4Figure 4 : Courbe de lumière du sursaut gamma GRB 170817A détecté par le satellite Fermi. Le pic du signal en rayons gamma (dont le début temporel est indiqué par une barre verticale verte) s’est produit 1,7 seconde après la coalescence des deux étoiles à neutrons : l’instant 0 sur l’axe horizontal correspond à l’instant 0 de la coalescence sur la Figure 2, décrivant le signal gravitationnel vu par LIGO (Crédit image : NASA GSFC).

Il faut noter que le délai de 1,7 seconde observé entre le signal gravitationnel et le sursaut gamma pose des contraintes sur la « dynamique » (les mouvements) du jet et le lieu d’émission du rayonnement observé ; ces informations sont cruciales pour distinguer entre les différents mécanismes proposés pour expliquer l’émission des sursauts. Ces travaux sont la spécialité d’une autre équipe de l’IAP, menée par Frédéric Daigne et Robert Mochkovich, qui travaille sur les modèles physiques de sursauts gamma en association avec des coalescences depuis les années 1990. Les chercheurs participent également à la préparation du satellite franco-chinois « Space Variable Objects Monitor » (SVOM), dont l’objectif est de détecter de nombreux sursauts en rayons X et gamma, et de rechercher les contreparties lumineuses aux sources détectées en ondes gravitationnelles (le lancement de SVOM est prévu en 2021).


L’émission visible et proche infrarouge

La contrepartie visible « transitoire » (c’est-à-dire éphémère) est détectée dès la nuit tombée, c'est-à-dire une dizaine d’heures après la première alerte, par plusieurs programmes de recherche de supernovae[7] en Amérique du Sub, indépendamment et durant la même nuit. Baptisée initialement SS17a par le groupe de l'Observatoire de Las Campanas au Chili, elle a été renommée depuis AT2017gfo selon la nomenclature de l'Union Astronomique Internationale (AT pour « Astronomical Transient », 2017 pour l’année ; c’est le 4950ème transitoire détecté en 2017).

La galaxie NGC 4993 dans laquelle a été localisée cette nouvelle source remarquable est de type lenticulaire, et les étoiles qui la constituent sont plutôt anciennes. Ceci n’est pas contradictoire car il peut s’écouler un temps très long (jusqu’à plus d’un milliard d’années) entre la naissance d’un système binaire de deux étoiles massives, qui évoluent rapidement et explosent en supernova pour donner deux étoiles à neutrons, et la coalescence de ces deux étoiles : elles se rapprochent initialement très lentement l’une de l’autre.

Figure 5Figure 5 : La source ponctuelle nouvelle (la « kilonova ») est détectée dans le halo de la galaxie lenticulaire NGC 4993 (l’objet le plus brillant près du centre de l’image) à environ 6000 années-lumière du centre de la galaxie. Il s’agit d’une image composite produite à partir d’images obtenues dans des filtres visibles et infrarouge proche avec le télescope de 2,2 mètres à l’Observatoire Européen Austral (ESO) au Chili (Source : Smartt et al. 2017, Nature).

Pour comprendre la nature de cette nouvelle source, sa découverte a été immédiatement suivie par des études photométriques (l’acquisition d’images d’astronomie dans divers filtres) et spectroscopiques - l’obtention de spectres[8], qui ont duré une dizaine de jours. L’évolution temporelle de ces observations montre une source dont la luminosité décroit rapidement jusqu’à devenir indétectable (Figure 6), et dont la couleur évolue du bleu vers le rouge (et le proche infrarouge). L’évolution de la brillance et de la couleur de la source est en très bon accord avec les modèles théoriques de kilonova[1]. Juste après la coalescence qui détruit les deux étoiles à neutrons, de la matière riche en neutrons est expulsée à grande vitesse. Les conditions y sont propices à des réactions nucléaires très particulières : des noyaux très lourds se forment par capture rapide de neutrons. La plupart de ces noyaux sont radioactifs : ils chauffent alors la matière éjectée qui se refroidit en rayonnant, ce qui explique parfaitement l’évolution de l’intensité et de la couleur de la kilonova.

Figure 6 Figure 6 : La courbe de lumière de la kilonova (évolution de la brillance en fonction du temps), en rouge, ne ressemble à aucune courbe de lumière de supernova, même en y incluant les plus rapides comme 2010X ou 2002bj. On constate que la kilonova est moins brillante que les supernovae connues au pic de son émission, et s’éteint beaucoup plus rapidement (Source : Arcavi et al. 2017, Nature).

Certains des tous premiers spectres ont été obtenus avec les télescopes de 3,5 mètres « New Technology Telescope » (NTT), et de 8,2 mètres « Very Large Telescope » (VLT) de l'ESO au Chili, dans le cadre de la collaboration européenne « Public ESO Spectroscopic Survey of Transient Objects » (PESSTO, http://www.pessto.org ; programme sous la responsabilité de S. J. Smartt, de l’Université Queen’s de Belfast). Des observateurs de l'IAP (Michel Dennefeld, et le doctorant Jesse Palmerio) participent à ce programme depuis son démarrage en 2012. Les observations obtenues sont parfaitement en accord avec les prédictions théoriques : le spectre de la kilonova est proche d’un corps noir[9] à une température initiale dépassant 10 000 degrés (lorsque l’objet est bleu), et qui diminue ensuite rapidement en quelques jours, l'objet devenant plus rouge. Dans le spectre pris deux jours et demi après l’explosion, on peut identifier la signature de l’absorption[10] par deux éléments, le tellure et le césium, tous les deux plus lourds que le fer ; cela confirme le scénario de « nucléosynthèse » (synthèse des noyaux atomiques) de noyaux lourds par la capture rapide de neutrons. Plus généralement, la modélisation détaillée de la courbe de lumière et des spectres de la kilonova dans sa phase tardive montre que la matière éjectée possède une opacité élevée (capacité d'un milieu à absorber la lumière qui le traverse) : cela indique la présence de noyaux du groupe des lanthanides[11] encore plus lourds que le tellure ou le césium.

Tout indique donc que les différentes étapes attendues de la nucléosynthèse ont bien eu lieu, et il est très probable qu’elle se soit effectuée jusqu’aux noyaux les plus lourds, comme le platine, l’or ou l’uranium. L’origine de ces éléments très rares dans l’Univers est depuis longtemps mystérieuse. Une équipe de l’IAP (Élisabeth Vangioni et Fédéric Daigne) a travaillé depuis 2015 sur le scénario de formation de ces éléments lourds par coalescence d’étoiles à neutrons, et l’évènement du mois d’août apportent des arguments forts en faveur de ces modélisations.


L’astronomie multi-messager

L’événement du 17 août 2017 est remarquable à plus d’un titre. C’est d’une part l’impressionnant pouvoir prédictif de la physique qui est vérifié, puisqu’une telle association ondes gravitationnelles - sursaut gamma - kilonova avait été prédite depuis longtemps. Par ailleurs, réussir à confirmer cette association a demandé des développements instrumentaux et une campagne d’observations coordonnées à l’échelle internationale sans précédent. Avec cet événement est née une nouvelle astronomie « multi-messager », qui illustre la grande complémentarité qui existe entre le messager gravitationnel, qui permet de caractériser finement le système binaire de deux étoiles à neutrons juste avant la coalescence, et le messager lumineux qui nous renseigne sur le produit de cette coalescence. Enfin, de nouveaux éléments de réponse ont été apportés à la question difficile de l’origine des éléments atomiques les plus lourds dans l'Univers.

Le fait que cette détection ait eu lieu dès la deuxième prise de données de LIGO-Virgo, très peu de temps après que l’interféromètre Virgo a rejoint les deux interféromètres de LIGO, laisse penser qu’elle sera suivie d’autres détections dans les années à venir. Cela permettra de répondre à de nouvelles questions, comme par exemple la fréquence de ces événements, la nature de l’objet compact qui se forme après la coalescence, la géométrie de l’éjection relativiste. C’est une aventure qui ne fait que commencer, et à laquelle les chercheurs et chercheuses de l’IAP vont continuer à prendre part.

Notes

[1] Le nom de kilonova vient du fait que le pic de luminosité est environ 1000 fois plus élevé que pour une nova, un phénomène explosif observé à la surface de certaines étoiles naines blanches (kilo est le préfixe multiplicatif par 1000). En comparaison, une supernova peut être un million de fois plus brillante qu’une nova.

[2] Un système binaire en astronomie est un ensemble composé de deux astres liés par la force de gravitation, et qui sont donc en orbite autour de leur centre de gravité commun.

[3] Une étoile à neutrons est le résidu du cœur d'une étoile massive ayant explosé en supernova, et est composée essentiellement de neutrons. Elle correspond à un état d’extrême densité puisque la masse typique est de l’ordre de 1,4 fois celle du Soleil, pour une taille qui correspond à une grande métropole (un rayon de l’ordre de 10 km). Ce qui l’empêche de s’effondrer sous son propre poids est une force de pression considérable, due à l’interaction forte entre les neutrons, seule interaction encore capable d’équilibrer la gravitation pour un astre aussi dense. Une étoile à neutrons est difficilement observable, sauf si elle se manifeste par une émission radio pulsée (on dit alors qu’il s’agit d’un « pulsar »), ou par la présence d'un disque d'accrétion provenant de l'arrachage de matière à une étoile compagnon : elle apparaît alors comme une source puissante de rayons X (une « binaire X »).

[4] L’analyse préliminaire du signal gravitationnel publiée par LIGO-Virgo fait des hypothèses sur le spin des étoiles à neutrons, alors qu’une analyse plus sophistiquée pourra s’en affranchir et devrait permettre de mesurer les spins.

[5] Les forces de marée résultent de l’attraction gravitationnelle différente qui s’applique aux différentes parties d’un corps selon la distance, et ce sont elles qui, par exemple, produisent les déformations de la hauteur des océans à la surface de la Terre causées par l’attraction de la Lune.

[6] Le trou noir est l’état final de l’effondrement, dû à la force gravitationnelle, d'une étoile très massive à la fin de son évolution. Toute la masse est alors concentrée en un point appelé « singularité », et aucune lumière ne peut s’échapper en deçà d’une frontière appelée « horizon ».

[7] Les supernovae sont des phénomènes lumineux très brillants associés à des explosions d’étoiles : explosion thermonucléaire d’une naine blanche pour les supernovae de type Ia ; explosions d’étoiles massives provoquées par l’effondrement gravitationnel de leur cœur pour les autres types, qui donnent en particulier naissance aux étoiles à neutrons. Beaucoup de programmes les recherchent : ce sont des phénomènes rares, il y a environ une supernova par siècle pour une galaxie comme la nôtre. Rassembler un grand échantillon est nécessaire pour mieux comprendre le(s) mécanisme(s) d’explosion. De plus, dans le cas des supernovae de type Ia, on peut déduire leur distance de la combinaison de leur intensité et de leur couleur, ce qui permet de les utiliser comme outils pour la cosmologie. Ce sont elles, en particulier, qui ont permis de mettre en évidence l’accélération de l’expansion de l’Univers.

[8] Un spectre est la distribution de la lumière émise par un objet qui est dispersée par un prisme (ou son équivalent), et qui permet de mesurer la quantité de lumière émise en fonction de la longueur d’onde (ou couleur de la lumière).

[9] Un corps noir est un objet idéal qui absorberait parfaitement toute l’énergie électromagnétique qu'il reçoit, sans en réfléchir ni en transmettre.

[10] Les raies d’émission ou d’absorption sont des excès ou manques de lumière observés dans les spectres des objets astronomiques, à des longueurs d’onde spécifiques correspondant à des éléments chimiques présents dans l’objet.

[11] Les Lanthanides  est le nom générique donné aux noyaux de masse atomique plus élevée que celle du Fer (A=56), et commençant avec le Lanthane (A=57).

Liens

puce L'article dans la revue Physical Review Letters : « GW170817: observation of gravitational waves from a binary neutron star inspiral »
https://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/PhysRevLett.119.161101 (version publique)
puce L'article dans la revue Astrophysical Journal Letters : « Multi-messenger observations of a binary neutron star merger »
http://iopscience.iop.org/article/10.3847/2041-8213/aa91c9 (version publique)
puce L'article dans la revue Nature : « A kilonova as the electromagnetic counterpart to a gravitational-wave source »
https://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/nature24291.html (version publique)
puce L'article dans la revue Nature : « Optical emission from a kilonova following a gravitational-wave-detected neutron-star merger »
https://www.nature.com/nature/journal/vaap/ncurrent/full/nature24303.html (version publique)

puce Communiqué de presse du CNRS : http://www2.cnrs.fr/presse/communique/5253.htm
puce Vidéo de la conférence de presse du CNRS, le 16 octobre 2017 : Nouveaux résultats de l’astronomie gravitationnelle
puce Une de l’IAP sur la première détection des ondes gravitationnelles en 2016 : http://www2-internet.iap.fr/actualites/laune/2016/OndesGr/OndesGr.html
puce Accès aux données associées à cette observation, mis en place par la collaboration LIGO-Virgo (en anglais) : https://losc.ligo.org/about/

À noter : une conférence publique organisée par l'IAP et l'UPMC, sera donnée par Frédéric Daigne, mardi 9 janvier 2018, à l'Amphithéâtre Farabeuf (15 rue de l'école de médecine - 75006 Paris) : « Première détection d’une fusion d’étoiles à neutrons en ondes gravitationnelles et de la lumière associée : la naissance d’une nouvelle astronomie à plusieurs messagers ».
Informations pratiques : http://www.iap.fr/science/conferences/conferences.php?annee=2018

Rédaction et contacts

Rédaction web : Valérie de Lapparent
Mise en page : Jean Mouette

Octobre 2017

Institut d'Astrophysique de Paris - 98 bis boulevard Arago - 75014 Paris